Abzalon
Pierre Bordage

Ester est divisée en deux continents que tout oppose : au sud vivent les Kroptes au sein d'une société conservatrice et archaïque à l'extrême rigueur morale. ; au nord, règnent le crime, la peur et le gâchis inconsidéré des richesses naturelles. C'est à Vrana, la capitale, que se trouve Dœq, l'immense pénitencier à l'intérieur duquel il n'est qu'une seule loi : la survie. Parce qu'un programme gouvernemental nécessite des hommes aux capacités de résistance exceptionnelles, Abzalon, le tueur-décortiqueur de femmes est choisi avec cinq mille autres prisonniers pour embarquer à bord du vaisseau l'Estérion. Avec les cinq mille derniers Kroptes, peuple qui leur est diamétralement opposé, les prisonniers partent pour un voyage de cent vingt ans vers une planète récemment découverte et qui pourra peut-être accueillir les Estériens après la destruction inéluctable d'Ester. Ces cobayes d'abord séparés vont se rencontrer et cohabiter, s'aimer et mourir.
Quelques clichés et grosses ficelles (l'amour entre la Belle et la bêtes, prévisible dès le début…) n'entravent pas la réussite de ce roman car on ne dira jamais assez que Pierre Bordage est un grand raconteur d'histoires. Il nous entraîne ici dans des univers confinés et des sociétés gangrenées dans lesquels le lecteur est aussitôt plongé. L'atmosphère carcérale de Dœq est sordide à souhait, les prisonniers n'y survivant qu'à force de haine, de meurtres et de rapports de force. L'amitié y naît pourtant entre Lœllo et Abzalon, sorte de brute monstrueuse tout en instinct. C'est pourtant lui qui va se révéler à lui-même à bord de l'Estérion, grâce à l'amour et la confiance de la belle Ellula, jeune femme kropte en révolte contre les traditions humiliantes de son peuple. Le vaisseau résonne des conflits, des peurs, des audaces et des joies de ses passagers décimés par les combats, la faim, les manigances et le désespoir.
Ce roman donne à réfléchir sur les dérives d'une société qui ne respecte pas son milieu naturel et gâche ses ressources. Mais Pierre Bordage n'est pas manichéen car si les Kroptes, à l'inverse, ont toujours respecté la nature, ils n'en sont pas moins englués dans leurs archaïsmes et leur intransigeance. Au nord comme au sud, les religions manipulent et décident, entraînant l'être humain à sa perte.
Avec Pierre Bordage, le space opera à la française trouve ses lettres de noblesse.

Abzalon, Pierre Bordage (L'Atalante, 1998), J'ai Lu, 2002, 8 euros retour